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Nous savons peu de choses sur ces
deux ethnies, si ce n’est qu’elles s’organisaient en
petits groupes de chasseurs-collecteurs de
l’interfleuve se mobilisant sans cesse dans les
bassins hydrographiques du Tigre et du Curaray, comme
leurs voisins du nord les Huaorani, zone encadrée par
deux plus grands groupes ethniques maniant
l’agriculture, l’ensemble Jivaro au sud et les
Siona-Secoya au nord.
Il y a cinq cents ans, toutes ces ethnies eurent à subir l’invasion des Kichwa (ou Quechua) venant des Andes qui tentaient d'échapper à la conquête espagnole. Ces derniers s’installèrent le long des grands fleuves navigables, le Napo et le Bobonaza qui se jette ensuite dans le Pastaza, en profitant des espaces inter-ethniques laissés libres pour éviter les rapts ou les agressions, mais aussi du dédain des autres ethnies pour les grandes étendues d’eau. Ces modifications induites par la conquête puis un peu plus tard par le boom du caoutchouc ont forcément changé l’équilibre social de la région, les Kichwa puis les Jivaros se révélant les plus aptes à conquérir de nouveaux territoires ou à résister aux changements culturels. Les Arabela et les Sapara furent alors contraints soit de s’enfoncer plus loin dans la forêt, soit d’accepter le métissage avec ces nouvelles ethnies dominantes. Dès le début du XXème siècle, leur déclin était donc déjà engagé, mais la chance de vivre dans un endroit loin de toute grande voie de communication pouvait leur laisser présager une fin heureuse… Ainsi, il y a vingt ans à peine, un dizaine de minuscules villages Sapara s’égrainaient aux sources du Rio Tigre et deux villages Arabela se cachaient dans les frondaisons d’un petit affluent du Curaray, tandis qu’un groupe non contacté de Taïgiri, probablement d’origine Huaorani, s’évertuait à rester libre de toute influence occidentale. C’était sans compter sans l’existence, inconcevable pour eux, d’immenses réserves d’or noir sous leurs pieds…. ![]() ![]() Précautions, précautions, Notre monde a besoin de ce pétrole. Notre monde sait aussi depuis peu que sa marche en avant est en train de compromettre sa propre survie et au-delà, celle de l’humanité entière. Alors, sous la pression des ONG environnementalistes, les compagnies pétrolières sont devenues plus… prudentes. Elles vont à la rencontre des populations locales, surveillent comme le lait sur le feu leur impact sur l’environnement, ré-injectent les eaux de forage et limitent au maximum l’ouverture de routes. Mais leur manière de penser ne peut s’affranchir d’une vision du monde matérialiste et pragmatique : la forêt n’est qu’un conglomérat de ressources… économiques (ou à préserver pour l’économie de demain), alors que pour les indiens, elle est un corps vivant et sacré à respecter pour elle-même et non pour les hommes. ![]() ![]() Chez les Arabela, le monde s’est
accéléré au tournant de ce siècle. Avec l’arrivée des
pétroliers, de nombreux employés recrutés à Iquitos
ont découvert le Haut-Curaray et ses richesses tant
éloignées à une semaine de navigation. Sur les rives
extérieures de ses méandres, d’immenses arbres à
portée de tronçonneuses. Dans ses nombreux méandres
morts, une multitude de poissons prisonniers à portée
de filets. Sur ses plages de sable, d’étranges reflets
dorés à portée d’une drague. Dans les villages, des
singes apprivoisés et des jeunes femmes à portée de
main…
Dans les bars, les marchés d’Iquitos, sous les effluves alcoolisées et la chaleur moite, le fleuve Curaray, dont le nom sonne comme cri, s’est transformé dans toutes les têtes en une sorte d’Eldorado fantasmé. On l’avait oublié, celui-là ! Trop loin ! Pas assez rectiligne ! ![]() Derrière sont arrivés les « congeladoras », un bien étrange nom pour des pêcheurs sur des pirogues rapides qui embarquent une rangée d’anciens congelateurs en panne garnis d’un maigre pain de glace dégoulinant. Ils pêchent à la va vite dans les bras généreux du Curaray le plus loin possible des villages, obligeant les indiens à maintenant orner leurs lagunes de panneaux autant disgracieux qu’inefficaces : « Laguna comunitaria – Pesca prohibida ». Ils redescendent ensuite aussi vite que possible à la ville, sous les yeux des indiens impuissants. Récemment aussi une drague est montée du Brésil, on dit qu’elle appartient à un élu régional… Elle est montée jusqu’à la base pétrolière et en une nuit, elle a changé le cours du fleuve en déversant un monticule énorme de sable en son centre… « Les militaires laissent faire, c’est bien là le problème » m’a confié un Kichwa dépité par tant d’intrusions et de trafic illégal sur le fleuve. Espérances, espérances,
![]() La protection des Arabela, de leur culture et de leur territoire, comme pour tous les autres peuples autochtones, passe d’abord par une prise de conscience mondiale de leurs richesses intrinsèques et de leurs droits. Elle doit se prolonger ensuite au niveau des Etats pour qu’ils s’investissent activement dans la défense des espaces naturels et de leurs habitants. Ces forêts, parmi les plus riches en biodiversité du monde, renferment les ressources de demain et stabilisent le climat mondial. Elles peuvent servir de modèles à des économies plus humaines, plus respectueuses des générations futures. Elles nous inspirent à revoir notre vision du monde et à modifier nos modes de vie. Il est donc important de nous mobiliser ! Il y a un an tout juste, les indiens de l’Amazonie péruvienne se soulevaient en masse pour faire connaître à leurs dirigeants et au monde que l’exploitation de leur région courait au désastre. A Bagua, plusieurs autochtones y ont perdu la vie. Sur le Rio Napo, les indiens Arabela et Kichwa avaient tendu un câble en travers du fleuve pour bloquer toute navigation en signe de protestation et de soutien à la révolte nationale. Peu de médias l’ont rapporté. Il fut rompu par l’armée, en coulant au passage plusieurs pirogues autochtones, afin de rétablir le cours normal des choses. Est-ce cette normalité que nous désirons ? ![]() ![]() © Jean-Patrick Costa -
Arutam - Mai 2010
Septembre 2022 :
Douze ans plus tard, Arutam à travers son programme Zéro Déforestation est heureux d'avoir pu contribuer à l'obtention de titres fonciers pour les Indiens Arabela. Au total, 154.621 hectares ont été donnés aux deux seules communautés de l'ethnie Arabela : Flor de Coco et Buenavista. (voir la carte au-dessus) |
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