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Un peu d’histoire
Sous le terme générique de Mayoruna se regroupent en réalité plusieurs tribus originaires du Rio Yavari, fleuve frontière entre le Pérou et le Brésil, notamment les Matses/Matis et les Marubos/ Korubos. Polygames, ils font partie de l’ensemble linguistique Pano comme les Shipibos. Long de 1200 km, le Yavari qui prend sa source dans la Sierra del Divisor, était encore inexploré au XIXème siècle, de par sa situation aux confins des zones d’influence portugaise et espagnole, de telle sorte que les indiens occupaient un large espace de près de 150.000 km² poussant leurs raids au nord et à l’est sur les rives de l’Amazone, au sud et à l’ouest jusqu’à celles du Purus et du Tapiche. Ce sont précisément ces raids qui leur donnèrent la solide réputation de « voleurs de femmes ». ![]() A la fin des années 60, il ne restait plus que 3 grandes ethnies non contactées en Amazonie : les Yanomamis au Venezuela/Colombie, les Waoranis en Equateur et les Mayorunas au Pérou/Brésil. Ce sont les évangélistes fondamentalistes nord-américains du SIL qui vont établir les premiers contacts en recherchant à la périphérie des territoires « non-pacifiés » des locuteurs afin d’apprendre leur langue. Financés par l’industrie pétrolière, ils vont organiser des expéditions en hydravion et gagner la confiance des Indiens en s’adressant à eux dans leur langue à l’aide de haut-parleurs. La « pacification » des Matses eut lieu le 30 Aout 1969 sur le Rio Yaquerana et reste une date encore célébrée chaque année par les Indiens sous le nom de « Contacto Matses »… Et une grande cassure dans l’histoire matses Deux sœurs évangélistes, Harriet Fields et Hattie Kneeland, alias Luisa et Enriqueta, ont dédié leur vie aux Matses en installant une grande mission à Buenas Lomas. Pendant près de 30 ans, elles vont convaincre par leurs cadeaux (machetes, casseroles, munitions, hameçons, vêtements, médicaments, etc…), famille après famille, tous les Matses sans exception et même certains du Brésil, à venir les rejoindre autour de l’église et de leur piste d’atterrissage. Au début des années 90, la mission de Buenas Lomas était devenue une sorte de reducción moderne, comme au plus beau temps des jésuites, avec plus de 600 âmes qui chantaient tous en cœur les louanges de Dieu, matin et soir, dans de grandes célébrations à caractère extatique. ![]() La chasse devenant impossible autour de la mission, quelques familles Matses décidèrent de s’installer plus au Nord, sur le Rio Galvez à proximité du poste militaire d’Angamos afin de pouvoir mieux commercer. Ils allaient progressivement s’ouvrir au tourisme et engager un processus de reconnaissance ethnique auprès du gouvernement péruvien qui déboucha en 1998 sur la légalisation d’un territoire communal de 457.000 hectares. Ils perdirent au passage la moitié de leur territoire, converti en Réserve Nationale Matses (420.000 hectares) sensé établir un cordon de protection tout autour du territoire communal, mais sur lequel les matses n’ont dans les faits plus aucun droit d’usage. Aujourd’hui, un nouveau défi De nos jours, on dénombre 2.500 Matses au Pérou répartis en 14 villages appelés anexos et défendus par la Junta Nativa Matses basée à Iquitos. Côté Brésil, la FUNAI a créé un vaste territoire indigène « Vale do Javari » de 8,5 millions d’hectares dans lequel vivent au moins 1.500 Matses dans une dizaine d’aldeas frontalières et autant de Matis, Marubo/Korubo et Kulina/Kanamari, plus à l’intérieur, soit probablement 4.000 habitants au total. C’est dans cette réserve où sévit depuis 2006 une épidémie d’hépatite B, que l’on a identifié la plus forte densité au monde de groupes non contactés (Korubo en particulier, voir photos de Survival International et BBC), environ une douzaine, pour une population totale de 1.000 individus en isolement volontaire. Chaque décennie, quelques familles prennent contact avec les villages Matis et Korubo pour sortir de cet… encerclement progressif. Le dernier a eu lieu en 2012 sur le Rio Ituí. ![]() Suite à une invitation de la Junta Matses, nous avons été les premiers à visiter les villages matses du Sud qui se sont créés entre 1998 et 2002 le long du Rio Chobayacu au moment de la fermeture de la mission évangéliste dont nous avons pu voir les ruines. Ceux-ci sont restés pendant dix ans dans un relatif isolement volontaire, refusant la visite d’étrangers et continuant à chasser à l’arc, à défaut de munitions. Peu de choses ont changé depuis le départ des missionnaires, si bien qu’il est surprenant de voir avec quelle assiduité les Indiens poursuivent seuls les psalmodies et les prières comme si Sœur Luisa allait revenir ! Mais à y regarder de plus près, plusieurs choses ont bien changé. C’est d’abord le nombre impressionnant d’enfants de moins de 12 ans, témoignage criant de l’arrêt de la contraception autrefois imposée par les sœurs … Tout aussi étonnant, la profusion d’artisanat d’excellente qualité, inconnu sur Iquitos, qui aujourd’hui ne trouve plus de débouché direct vers les Etats-Unis. On peut aussi constater la recrudescence du recours aux plantes médicinales, suite à la disparition de l’assistance médicale. Et derrière, se profile un désir fort : « Nous voulons reconstruire nos malocas ! ». La vie traditionnelle renaît, mais il faudra encore beaucoup d’efforts ! Awiran boké, Tapu Wirambo Iké ! ![]() L’histoire de notre premier contact, un an auparavant, nous avait déjà surpris. Il est bien rare qu’un indien de la forêt nous téléphone depuis son village (par connexion satellitaire) pour que nous organisions la visite de touristes dans une zone réputée fermée ! Or c’est bien ce qui nous arriva en Avril 2014. Il nous a fallu un an de préparation pour enfin déclencher le premier voyage touristique et vivre en direct le choc des cultures, entre des indiens ne voulant pas être photographiés et des touristes se demandant pourquoi dans un site aussi reculé, bien des traditions avaient disparu… La confrontation vira à l’interrogation : Qu’est-ce qu’un touriste ? Que vient-il chercher ici ? Onké kérévé. Réunion générale ! Naissance du projet « Revalorisation identitaire Matses - Chubo Tsikakai » Partout en Amazonie et même dans les endroits les plus reculés, l’argent est devenu une préoccupation majeure, notamment pour l’éducation des enfants et l’accès aux biens de consommation basique. Viande de chasse, poissons, fruits de la forêt, bois sont les premières ressources exploitables, viennent ensuite l’exode et le travail en ville. A travers le tourisme, les Indiens espèrent des revenus familiaux directs tout en restant dans leurs villages, comme par exemple le travail de porteur, piroguier, guide, cuisinier, mais aussi par la vente d’artisanat, de nourriture, voire l’embauche pour la construction de lodges sur leur territoire. Tout l’art d’un tourisme solidaire d’immersion dans les communautés (dit convivial ou expérimental pour vivencial en espagnol) est de limiter les gains individuels (qui forcément ne peuvent toucher qu’un petit nombre de famille, source de jalousies et de discordes) au profit de gains communautaires pour financer des projets de taille moyenne. Opérateur de tourisme solidaire en lien avec des projets de développement, Latitud Sur est trop bien placé pour voir comment un tourisme prédateur s’est mis progressivement en place sur Iquitos : des bateaux de luxe sortent régulièrement avec du personnel formé sur Iquitos et de la nourriture congelée achetée sur les marchés d’Iquitos au plus bas prix, en direction des réserves naturelles loin des villages indiens, pour ne faire au final qu’une courte halte dans un seul village où parfois une seule famille indienne a été encouragée à danser sur commande pour ensuite proposer son artisanat. ![]() La visite systématique des uchiro (grand-pères), chichi (grands-mères) et nesté tantiakit (chamans) de plus de 60 ans valorise une génération « oubliée » voire « refoulée », par ailleurs marquée au fer rouge, car tatouée au visage (standard de beauté rejeté par les missionnaires, mais qui se pratique encore de nos jours chez les Matis du Brésil). Qu’y avait-il de central avant le « Contacto Matses » ? Comment s’alliait-on avec les esprits de la forêt ? ![]() ![]() Au fil des discussions (exclusivement en Matses), quelle ne fut pas notre surprise de voir ressurgir un rêve enfoui au plus profond de certains d’entre eux : Chubo Tsikakai, tel un cri d’espoir, la maloca ! Elle redeviendrait le centre du village, là où les anciens enseigneraient aux plus jeunes l’usage des plantes médicinales, là où l’on apprendrait les danses et les chants traditionnels, là où les hommes renoueraient avec le Cuenden Quido, là où on pourrait présenter notre artisanat et héberger les... touristes ! La boucle est fermée, le cercle vertueux mis en place ! Mais tout de suite une autre question émerge : Saura-t-on en reconstruire une ? Fort heureusement, il existe une dernière maloca sur le Rio Yavari, elle est côté brésilien à Treinta y Um. Nous décidons d’établir un premier contact avec ce village. Nos guides matses péruviens hésitent, ils n’ont pas pour habitude de les visiter, à fortiori avec des blancs… Le contact est froid: quelques mots à peine échangés, des regards interloqués et quelques coups d’œil furtifs vers la maloca… fermée (car en bien mauvais état), une photo prise à la dérobée, mais déjà… nous savons que le contact s’est fait : nous reviendrons dans quelques mois avec de nouveaux touristes : le projet « Maloca Matses » est en route ! © Arutam/Latitud Sur - Mai 2015
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L’association Arutam a mis en place une
collecte de dons en faveur du projet "Malocas
Matses".
L'objectif est de reconstruire au moins trois centres cérémoniels traditionnels, pierres angulaires du programme de revalorisation identitaire. Novembre 2015, voici la première maloca matses péruvienne construite après 30 ans ! ![]() ![]() Merci à tous ceux qui ont soutenu cette première construction. |
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